Fiche de révision Arthur Rimbaud, "Le Mal" (*Cahiers de Douai*, 1870)
INTRODUCTION
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Présentation de l’auteur et du contexte : Arthur Rimbaud, poète majeur de la seconde moitié du XIXe siècle, écrit les poèmes des Cahiers de Douai en 1870, alors qu’il n’a que 16 ans. C’est un adolescent en pleine révolte. “Le Mal” est écrit en octobre 1870, en plein cœur de la guerre franco-prussienne, un conflit qui a profondément marqué le jeune poète par sa violence.
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Situation de l’extrait : “Le Mal” est un sonnet, une forme poétique traditionnelle, que Rimbaud utilise pour exprimer une vision violemment moderne et contestataire. Il fait partie de ce qu’on appelle les “poèmes de la révolte” dans les Cahiers de Douai.
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(Lecture expressive de l’extrait)
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Problématique / Projet de lecture : Nous analyserons comment Rimbaud, en opposant brutalement la réalité du carnage de la guerre à l’indifférence d’un Dieu cupide, opère une double émancipation, à la fois contre la folie nationaliste et contre l’hypocrisie religieuse.
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Annonce du plan (mouvements du texte) :
- Premier mouvement (les deux quatrains, V1 à V8) : La description d’une scène de guerre apocalyptique et absurde.
- Deuxième mouvement (les deux tercets, V9 à V14) : La révélation du véritable “Mal” : un Dieu cynique et vénal.
DÉVELOPPEMENT : EXPLICATION LINÉAIRE
1er Mouvement : Le spectacle du carnage (V1-V8)
- Idée directrice : Rimbaud dépeint la guerre comme un massacre insensé, un déchaînement de violence qui profane la Nature.
- Développement des arguments et justifications :
- Les deux quatrains débutent par l’adverbe “Tandis que” (V1, V5), créant un effet d’attente. Ils décrivent une action qui se déroule en arrière-plan, laissant la proposition principale pour les tercets.
- La violence est immédiate et crue. La métaphore “crachats rouges de la mitraille” (V1) est d’une grande brutalité ; elle personnifie la guerre et lui donne un aspect vulgaire et dégoûtant.
- Le son est présent avec le verbe “Sifflent” (V2), créant un paysage sonore angoissant. Ce bruit mortel traverse “l’infini du ciel bleu”, un contraste violent entre la beauté indifférente de la nature et la laideur de la guerre.
- La responsabilité humaine est pointée : le “Roi qui les raille” (V3) désigne le pouvoir politique qui se moque cyniquement du sacrifice de ses soldats. Les “bataillons” (V4), eux, “croulent” dans le feu, totalement déshumanisés.
- Le deuxième quatrain amplifie l’horreur avec l’hyperbole “cent milliers d’hommes” (V6) et l’image terrible d’un “tas fumant”. La guerre est une “folie épouvantable” (V5) qui broie l’humanité.
- L’apostrophe à la “Nature” (V8), dans un cri de désespoir, la présente comme la créatrice bafouée (“toi qui fis ces hommes saintement !”). La guerre est donc un sacrilège contre la création.
2ème Mouvement : Le portrait d’un Dieu cynique (V9-V14)
- Idée directrice : Le poète révèle la proposition principale attendue : le véritable Mal n’est pas la guerre elle-même, mais le Dieu qui s’en réjouit et en profite.
- Développement des arguments et justifications :
- Le tiret au vers 9 marque une rupture nette. La révélation tombe : “– Il est un Dieu, qui rit” (V9). C’est l’ultime blasphème. Face à l’horreur des quatrains, Dieu n’est pas compatissant, il rit.
- Ce Dieu est associé à un luxe écœurant, comme le montre le champ lexical de la richesse de l’Église : “nappes damassées” (V9), “encens”, “grands calices d’or” (V10). C’est un Dieu bourgeois, confortable.
- Son indifférence est totale : il ”s’endort” (V11) pendant les prières (“le bercement des hosannah”), sourd aux supplications humaines.
- Le motif de son réveil est sordide : “quand des mères […] Lui donnent un gros sou” (V12, V14). Ce Dieu n’est intéressé que par l’argent.
- Le poème se termine sur une image pathétique qui dénonce la manipulation des plus faibles par l’Église : les mères en deuil, “ramassées Dans l’angoisse” (V12-13), donnant leur maigre pécule, “un gros sou lié dans leur mouchoir !” (V14). Le point d’exclamation final est ironique et rageur.
QUESTION DE GRAMMAIRE POSSIBLE
Question : “Analysez la structure syntaxique du sonnet, notamment l’emploi de ‘Tandis que’ aux vers 1 et 5.”
Réponse : Le poème est construit sur une seule et longue phrase. Les deux quatrains forment un ensemble de deux propositions subordonnées circonstancielles de temps, coordonnées entre elles, et toutes deux introduites par la locution conjonctive “Tandis que”. Ces subordonnées créent une forte attente en décrivant le décor (la guerre). La proposition principale, qui donne le sens final du poème, n’arrive qu’au premier tercet, au vers 9 : “Il est un Dieu…”. Cette structure syntaxique est essentielle à l’effet du poème : elle subordonne l’horreur de la guerre à un Mal encore plus grand, le cynisme de Dieu, qui est ainsi présenté comme la véritable information, la véritable cause du “Mal”.
CONCLUSION
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Bilan de l’analyse : Dans “Le Mal”, Rimbaud exprime sa révolte adolescente avec une puissance visionnaire. En utilisant la forme classique du sonnet, il la fait éclater de l’intérieur par une violence verbale et une structure qui oppose la souffrance humaine à l’indifférence divine. Le “Mal” n’est pas une fatalité métaphysique ; c’est le produit de la folie des Rois et de la cupidité de l’Église.
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Ouverture justifiée (lien avec le parcours “Émancipations créatrices”) : Ce poème est une illustration parfaite des “émancipations créatrices”.
- Émancipation : Rimbaud se libère de deux piliers de l’ordre social du XIXe siècle : le patriotisme (le “Roi qui les raille”) et la religion (le “Dieu qui rit”). C’est une révolte intellectuelle et morale.
- Créatrice : Cette émancipation se fait par la poésie. Rimbaud ne rédige pas un pamphlet, il crée une forme poétique nouvelle. En détournant le sonnet, en inventant des images choquantes (“crachats rouges”) et en construisant une rhétorique implacable, il fait de l’acte d’écriture lui-même une arme de libération. Cette volonté de “changer la vie” par le verbe est au cœur de son projet de “Voyant”.