Fiche de révision Jean Anouilh, *Antigone* (1944) - Le Prologue
INTRODUCTION
-
Présentation de l’auteur et du contexte : Jean Anouilh est un dramaturge français du XXe siècle. Il écrit et fait jouer Antigone en 1944, pendant l’Occupation allemande. Cette pièce est une réécriture moderne de la tragédie de Sophocle, et la figure d’Antigone, qui dit “non” à la loi du roi Créon, a été immédiatement interprétée comme un symbole de la Résistance face à l’autorité de l’occupant.
-
Situation de l’extrait : Ce texte constitue le début du Prologue qui ouvre la pièce. Un personnage unique, “Le Prologue”, s’adresse directement au public pour présenter les personnages et l’intrigue. Anouilh utilise ce procédé, hérité du théâtre antique, pour briser le “quatrième mur” et établir d’emblée les règles de sa tragédie moderne.
-
(Lecture expressive de l’extrait)
-
Problématique / Projet de lecture : Nous verrons comment ce prologue, en révélant par avance le destin des personnages, anéantit le suspense pour mieux souligner la fatalité tragique et définir l’héroïsme d’Antigone par sa solitude et sa détermination à mourir.
-
Annonce du plan (mouvements du texte) :
- Premier mouvement (lignes 1 à 14) : La présentation d’Antigone comme une héroïne tragique, condamnée d’avance et déjà isolée du monde des vivants.
- Deuxième mouvement (lignes 14 à 24) : La présentation d’Hémon, le fiancé, par contraste avec sa sœur Ismène, ce qui souligne l’irrationalité de son amour pour Antigone.
- Troisième mouvement (lignes 24 à 30) : Le récit de la demande en mariage, un moment clé qui scelle le destin tragique des deux amants.
DÉVELOPPEMENT : EXPLICATION LINÉAIRE
1er Mouvement : Antigone, l’héroïne de la fatalité (l. 1-14)
- Idée directrice : Le Prologue présente d’emblée Antigone non comme un personnage qui agit, mais comme un être qui “pense” à son destin et qui est déjà séparé des autres par la certitude de sa mort.
- Développement des arguments et justifications :
- Le début est métathéâtral : “Ces personnages vont vous jouer l’histoire” (l. 1). Anouilh brise l’illusion, nous sommes au théâtre.
- Antigone est décrite par la négative : “la petite maigre”, “ne dit rien” (l. 2-3), “noiraude et renfermée” (l. 5). C’est une anti-héroïne, loin des canons de beauté.
- Le Prologue révèle tout : “Elle pense qu’elle va être Antigone” (l. 4), “Elle pense qu’elle va mourir” (l. 8). Le verbe “penser” insiste sur sa lucidité. Son nom est un rôle, un destin.
- La fatalité est martelée : “Mais il n’y a rien à faire” (l. 9), “il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout” (l. 10). La tragédie est une mécanique implacable.
- Son isolement est souligné par la métaphore de la vitesse : “elle sent qu’elle s’éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur […] de nous tous” (l. 11-13). Elle n’appartient déjà plus au monde des vivants, ces “bien tranquilles” qui n’ont “pas à mourir ce soir” (l. 14).
2ème Mouvement : Le couple impossible (l. 14-24)
- Idée directrice : Hémon est présenté en contraste total avec Antigone, ce qui rend leur relation incompréhensible aux yeux du monde et souligne encore plus la solitude de l’héroïne.
- Développement des arguments et justifications :
- Ismène, la sœur, est le parfait opposé d’Antigone : “la blonde, la belle, l’heureuse” (l. 15). Elle représente la joie de vivre, la réussite, la sensualité.
- Logiquement, Hémon aurait dû choisir Ismène : “Tout le portait vers Ismène” (l. 16-17). L’énumération (“danse”, “jeux”, “bonheur”, “réussite”, “sensualité”) renforce cette évidence sociale.
- Le choix d’Hémon est donc présenté comme un mystère, un défi à la logique du monde : “Personne n’a jamais compris pourquoi” (l. 23-24).
3ème Mouvement : Le pacte tragique (l. 24-30)
- Idée directrice : Le récit de la demande en mariage fonctionne comme une scène dans la scène, révélant la nature profonde de leur lien et scellant leur destin commun.
- Développement des arguments et justifications :
- La scène de la demande a lieu lors d’un “soir de bal” (l. 19), alors qu’Ismène est “éblouissante” (l. 20). C’est au moment du triomphe de la superficialité qu’Hémon se tourne vers l’essentiel : Antigone, “qui rêvait dans un coin” (l. 21).
- La réaction d’Antigone est significative : “levé sans étonnement ses yeux graves” (l. 24), “un petit sourire triste” (l. 25). Elle n’est pas surprise ; elle semble savoir que cet amour est lié à la mort.
- Le Prologue révèle alors la conséquence de cet amour : “il ne devait jamais exister de mari d’Antigone sur cette terre” (l. 28-29). Leur union est impossible dans la vie.
- La phrase finale est terrible et définit le rôle d’Hémon dans la tragédie : “ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir” (l. 29-30). Le pouvoir et le statut social sont inutiles face à la fatalité ; ils ne donnent qu’un privilège, celui de la mort.
QUESTION DE GRAMMAIRE POSSIBLE
Question : “Analysez la proposition subordonnée dans la phrase (l. 5-7) : ‘qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille’.”
Réponse : Cette phrase contient deux propositions subordonnées relatives imbriquées.
- La première, “que personne ne prenait au sérieux dans la famille”, est une subordonnée relative complément de l’antécédent “la maigre jeune fille noiraude et renfermée”. Elle est introduite par le pronom relatif “que”.
- L’ensemble “la maigre jeune fille… dans la famille” est le complément du nom “soudain” dans la proposition principale “qu’elle va surgir soudain de…”. C’est une construction complexe qui montre comment la perception des autres (personne ne la prenait au sérieux) fait partie de la définition même d’Antigone avant sa révolte.
CONCLUSION
-
Bilan de l’analyse : Ce prologue instaure un contrat de lecture particulier avec le spectateur. En dévoilant la fin, Anouilh déplace l’intérêt de l’intrigue vers les motivations profondes des personnages. La pièce ne demandera pas ce qui va arriver, mais comment et pourquoi Antigone va choisir son destin. La tragédie n’est pas dans l’ignorance, mais dans la lucidité d’une héroïne qui marche vers une mort qu’elle sait inévitable.
-
Ouverture justifiée (lien avec le parcours “Les jeux du cœur et de la parole”) : Ce texte d’Anouilh offre un contrepoint fascinant au parcours sur Musset.
- Là où Musset met en scène des “jeux” amoureux fondés sur l’orgueil et la manipulation, Anouilh présente un amour qui est tout sauf un jeu. Le choix d’Hémon pour Antigone est un acte grave, existentiel et inexplicable.
- La parole chez Musset est une arme de séduction et de dissimulation (“badinage”). Chez Anouilh, dès ce prologue, la parole est ce qui annonce et scelle le destin. Antigone est celle “qui ne dit rien” mais qui, plus tard, dira le “non” absolu.
- Le cœur chez Musset “badine” et se blesse. Chez Anouilh, le cœur choisit une fois pour toutes, et ce choix mène directement à la mort. Anouilh montre une version plus radicale et moins psychologique du drame amoureux : ce n’est plus un jeu de société, mais un affrontement avec le destin.