Fiche de révision Alfred de Musset, *On ne badine pas avec l'amour* (1834), Acte II, scène 5

INTRODUCTION

  • Présentation de l’auteur et du contexte : Alfred de Musset est un des grands écrivains du Romantisme français du XIXe siècle. On ne badine pas avec l’amour, publiée en 1834, est une pièce emblématique du drame romantique. Écrite pour être lue plus que jouée (ce qu’on appelle le “théâtre dans un fauteuil”), elle se caractérise par son lyrisme, le mélange des tons comique et tragique, et la profondeur psychologique de ses personnages.

  • Situation de l’extrait : Cette scène est un moment de confrontation majeur. Après s’être retrouvés, Camille et Perdican, deux cousins destinés l’un à l’autre, se heurtent. Camille, fraîchement sortie du couvent, a opposé à Perdican un refus froid et dicté par la méfiance envers l’amour humain. Dans cette scène, Perdican lance sa contre-offensive : une défense passionnée de l’amour et de la vie contre l’idéologie stérile qu’il prête au couvent.

  • (Lecture expressive de l’extrait)

  • Problématique / Projet de lecture : On se demandera comment Perdican, dans un duel oratoire mêlant le reproche et l’envolée lyrique, utilise la parole comme une arme pour tenter de reconquérir le cœur de Camille.

  • Annonce du plan (mouvements du texte) :

    1. Premier mouvement (lignes 1 à 15) : Une première tirade où Perdican attaque l’influence du couvent et oppose la froideur de la religion à la chaleur du souvenir.
    2. Deuxième mouvement (lignes 16 à 29) : Après une brève provocation de Camille, une seconde tirade où Perdican prononce un éloge paradoxal et sublime de l’amour humain.

DÉVELOPPEMENT : EXPLICATION LINÉAIRE

1er Mouvement : La critique du couvent et l’appel au cœur (l. 1-15)
  • Idée directrice : Perdican tente de briser les défenses de Camille en décrédibilisant l’enseignement des nonnes et en lui rappelant la vérité de leurs sentiments d’enfance.
  • Développement des arguments et justifications :
    • L’attaque est directe et violente, avec une série de questions rhétoriques : “Sais-tu ce que c’est que des nonnes, malheureuse fille ?” (l. 1). Il la peint en victime.
    • Il accuse les nonnes de mensonge sur deux plans : le “mensonge” de l’amour humain, et pire encore, “le mensonge de l’amour divin” (l. 3). C’est une attaque blasphématoire pour l’époque.
    • Il utilise un champ lexical de la manipulation et de l’artificialité : “chuchoter”, “fait la leçon” (l. 5), “masque de plâtre” (l. 9). Il suggère que Camille n’est plus elle-même, qu’elle est déguisée.
    • À cette froideur artificielle, il oppose la vérité du corps et du cœur : “mais ton cœur a battu” (l. 11). Il personnifie le cœur (“il a oublié sa leçon”) pour en faire l’allié de son propre camp, celui de la nature et de la vérité.
    • Il évoque avec lyrisme les lieux de leur enfance, “ce bois”, “cette pauvre petite fontaine” (l. 8), pour réactiver leur complicité passée.
    • Sa conclusion est une condamnation sans appel des nonnes : “le ciel n’est pas pour elles” (l. 15). Il les exclut du salut qu’elles prêchent.
2ème Mouvement : L’éloge sublime de l’amour (l. 16-29)
  • Idée directrice : Piqué au vif par la réplique de Camille, Perdican abandonne l’attaque personnelle pour se lancer dans une définition universelle de l’amour, présenté comme la seule valeur qui donne un sens à la vie, malgré ses imperfections.
  • Développement des arguments et justifications :
    • La réplique de Camille, “Ni pour moi, n’est-ce pas ?” (l. 16), est une provocation brillante. Elle le force à clarifier sa pensée : la condamne-t-il, elle aussi ?
    • Perdican lance alors sa tirade la plus célèbre. Il commence par une concession totale, un portrait noir de l’humanité : “Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux…“, “toutes les femmes sont perfides…” (l. 19-21). Cette longue accumulation de défauts rend le monde abominable, un “égout sans fond” (l. 22).
    • Cette vision apocalyptique sert de faire-valoir à ce qui va suivre, introduit par la conjonction adversative “mais” (l. 23).
    • Vient alors la définition de l’amour, comme une chose “sainte et sublime” (l. 24) qui naît paradoxalement de “l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux”. L’amour n’est pas une perfection, mais un miracle qui transcende l’imperfection humaine.
    • Il continue avec lucidité, reconnaissant la souffrance inhérente à l’amour : “On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux” (l. 25-26).
    • Le second “mais” (l. 26) est la clé de voûte de son argumentation : “mais on aime”. C’est un principe de vie irréfutable.
    • La fin est une anaphore poignante qui oppose la vie vécue à une existence stérile : “J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.” (l. 27-29). Aimer, même dans la douleur, c’est la seule façon de vivre. Il accuse ainsi Camille de choisir la non-vie.

QUESTION DE GRAMMAIRE POSSIBLE

Question : “Analysez la construction de la phrase complexe des lignes 19 à 25, de ‘Tous les hommes’ à ‘si affreux’.”

Réponse : Cette longue phrase est construite sur une opposition. Elle commence par deux propositions indépendantes coordonnées, qui dressent un portrait négatif de l’humanité (“Tous les hommes sont… ; toutes les femmes sont…”). Elles sont suivies d’une troisième indépendante qui conclut cette vision par une métaphore (“le monde n’est qu’un égout…”). L’ensemble est relié par la conjonction de coordination “mais” à la proposition principale “il y a au monde une chose sainte et sublime”. Cette chose est ensuite définie par une apposition : “l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux”. La structure syntaxique (longue description négative + “mais” + affirmation positive) crée un effet de contraste très puissant qui met en valeur la nature miraculeuse de l’amour.


CONCLUSION

  • Bilan de l’analyse : Cette scène est un sommet du théâtre romantique. Perdican, par deux tirades lyriques, oppose deux visions du monde : la méfiance et le renoncement prônés par la religion, et l’engagement total dans la vie par l’amour, malgré les souffrances qu’il implique. La parole n’est pas un simple dialogue, mais une arme de séduction et un manifeste pour la vie.

  • Ouverture justifiée (lien avec le parcours “Les jeux du cœur et de la parole”) : Cet extrait est l’incarnation même du parcours. C’est un jeu de la parole où chaque réplique est un coup porté, une feinte ou une estocade. Perdican utilise toute la puissance de la rhétorique (questions, anaphores, métaphores) pour briser les défenses de Camille. Mais c’est aussi et surtout un jeu du cœur : derrière cette joute verbale se cachent l’amour blessé, l’orgueil et le désir profond de se retrouver. La parole n’est pas seulement ce qui est dit, mais ce qui cache et révèle à la fois les véritables enjeux du cœur. C’est un badinage qui, comme le titre de la pièce l’indique, est tout sauf anodin.

Written on June 26, 2025