Fiche de révision Louise Labé, *Épître dédicatoire à Clémence de Bourges* (1555)

INTRODUCTION

  • Présentation de l’auteur et du contexte : Louise Labé, poétesse française du XVIe siècle, est une figure majeure de l’École de Lyon et de la Renaissance. Surnommée “la Belle Cordière”, elle est une femme cultivée et une humaniste qui, fait rare pour l’époque, publie ses propres œuvres en 1555. Ce texte s’inscrit dans un contexte où l’accès des femmes au savoir est très limité et souvent décrié.

  • Situation de l’extrait : Il s’agit du début de l’épître dédicatoire (une lettre de dédicace) qui ouvre les Œuvres de Louise Labé. Elle adresse ce texte à une autre femme lettrée de Lyon, Clémence de Bourges, mais sa visée est bien plus large : il s’agit d’un véritable manifeste adressé à toutes les femmes.

  • (Lecture expressive de l’extrait)

  • Problématique / Projet de lecture : Nous nous demanderons comment Louise Labé, à travers cette épître, construit un plaidoyer argumenté et stratégique pour encourager les femmes à s’emparer du savoir et revendiquer une nouvelle place dans la société.

  • Annonce du plan (mouvements du texte) :

    1. Premier mouvement (lignes 1 à 9) : Un appel aux femmes à saisir l’opportunité nouvelle de s’instruire.
    2. Deuxième mouvement (lignes 10 à 18) : Un éloge de la science comme un bien supérieur et inaliénable, illustré par son exemple personnel.
    3. Troisième mouvement (lignes 18 à 22) : Une exhortation collective à dépasser le rôle domestique pour devenir les égales des hommes.

DÉVELOPPEMENT : EXPLICATION LINÉAIRE

1er Mouvement : L’appel à saisir la liberté d’étudier (l. 1-9)
  • Idée directrice : Louise Labé commence par un constat : une nouvelle ère s’ouvre pour les femmes, qui doivent en profiter pour s’instruire et réparer une injustice passée.
  • Développement des arguments et justifications :
    • Le texte s’ouvre sur le participe présent “Étant le temps venu” (l. 1), qui sonne comme une proclamation. L’heure du changement a sonné.
    • Elle identifie clairement l’obstacle passé : “les sévères lois des hommes” (l. 1). L’adjectif “sévères” souligne l’injustice subie. La cause est donc sociale et non naturelle.
    • Elle invite les femmes à employer “cette honnête liberté” (l. 3) pour s’instruire. L’adjectif “honnête” est stratégique : il rend cette liberté acceptable, morale, et non subversive.
    • Le but est de “montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient” (l. 4-5). Il y a une dimension de revanche et de réparation. Il s’agit de prouver sa valeur.
    • Elle établit une opposition forte entre la valeur intellectuelle et la parure matérielle. La “gloire” (l. 7) procurée par l’écriture est supérieure aux “chaînes, anneaux, et somptueux habits” (l. 8). Ces biens matériels ne sont “nôtres, que par usage” (l. 9), ils sont éphémères et externes.
2ème Mouvement : La valeur supérieure de la science et l’exemple de l’autrice (l. 10-18)
  • Idée directrice : Après avoir critiqué les biens matériels, Labé fait l’éloge du savoir, un bien personnel et éternel, et se présente humblement comme une pionnière.
  • Développement des arguments et justifications :
    • Le savoir est un trésor personnel : “l’honneur que la science nous procurera, sera entièrement nôtre” (l. 10). L’adverbe “entièrement” et le possessif “nôtre” insistent sur cette appropriation définitive.
    • Pour prouver sa pérennité, elle utilise une accumulation de négations : “ni par finesse de larron, ni par force d’ennemis, ni par longueur du temps” (l. 11-12). Le savoir est présenté comme un bien imprenable, indestructible et éternel.
    • Elle se prend ensuite comme exemple à travers une hypothèse au subjonctif imparfait : “Si j’eusse été tant favorisée des Cieux…” (l. 12). C’est un topos de modestie : elle feint l’humilité pour ne pas paraître arrogante. Elle aurait voulu être un “exemple” plutôt qu’une “admonition” (un avertissement).
    • Le but ultime de son combat est de voir son sexe “non en beauté seulement, mais en science et vertu passer ou égaler les hommes” (l. 17-18). Les verbes “passer ou égaler” sont très forts et révèlent une ambition d’égalité, voire de supériorité.
3ème Mouvement : L’exhortation collective pour une nouvelle place dans la société (l. 18-22)
  • Idée directrice : Louise Labé conclut son argumentation par un appel général à toutes les femmes pour qu’elles revendiquent un rôle de “compagnes” des hommes.
  • Développement des arguments et justifications :
    • Elle adopte un ton plus général : “prier les vertueuses Dames” (l. 18). Elle s’adresse maintenant à une communauté de femmes.
    • L’image est très parlante : “d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux” (l. 19). Elle oppose l’élévation intellectuelle (“élever les esprits”) aux symboles de l’assignation des femmes à la sphère domestique.
    • Elle formule sa revendication finale avec une grande intelligence rhétorique. Elle fait une concession : “si nous ne sommes faites pour commander” (l. 20-21), pour mieux affirmer son exigence d’égalité : “si ne devons-nous être dédaignées pour compagnes” (l. 21). Le mot “compagnes” est central, il signifie “égales”.
    • Cette égalité doit s’appliquer partout : “tant dans les affaires domestiques que publiques” (l. 21-22). C’est une revendication très audacieuse qui demande une place pour les femmes dans l’espace public.
    • La dernière proposition “de ceux qui gouvernent et se font obéir” (l. 22) désigne sans détour les hommes au pouvoir.

QUESTION DE GRAMMAIRE POSSIBLE

Question : Analysez la construction de la phrase complexe aux lignes 20 à 22 : si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons-nous être dédaignées pour compagnes tant dans les affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir.

Réponse : Cette phrase est construite sur une corrélation.

  • si nous ne sommes faites pour commander est une proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse (ou de concession).
  • si ne devons-nous être dédaignées pour compagnes... est la proposition principale. Le “si” en début de principale signifie “alors” ou “en retour”. La structure est inversée (“devons-nous”) pour donner plus de force à l’affirmation.
  • qui gouvernent et se font obéir est une proposition subordonnée relative, complément de l’antécédent “ceux”.

CONCLUSION

  • Bilan de l’analyse : En conclusion, Louise Labé offre ici un véritable manifeste féministe avant l’heure. Grâce à une argumentation habile, elle exhorte les femmes à s’émanciper par l’intellect pour devenir les “compagnes” des hommes dans tous les domaines de la vie.

  • Ouverture justifiée (lien avec le parcours “Écrire et combattre pour l’égalité”) : Ce texte de 1555 est un jalon essentiel du parcours. Deux siècles avant Olympe de Gouges et sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Louise Labé utilise déjà l’écrit pour combattre les préjugés et revendiquer une égalité intellectuelle et sociale. On peut ainsi voir comment le combat pour l’égalité, d’abord centré sur le savoir à la Renaissance, s’est déplacé vers le terrain politique et juridique au siècle des Lumières.

Written on June 26, 2025